L’insulinothérapie dans le diabète de type 1

Pr Michel Pinget, diabétologue 

Septembre 2022



Depuis sa première fabrication, il y a tout juste 100 ans, l’insuline est passée du stade d’hormone de survie à celui de traitement de base des diabétiques de type 1, dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis cette date. Au cours de cette période, l’insulinothérapie a progressé de manière spectaculaire tant au niveau de sa tolérance que de son efficacité.


Grâce essentiellement au dynamisme de l’
industrie pharmaceutique, l’insuline est devenue plus pure (remplacement progressif des insulines extraites de pancréas animaux par des hormones humaines produites par génie génétique dont la structure correspond exactement à celle de l’hormone humaine, développement d’analogues de l’insuline mieux adaptés à l’administration sous­-cutanée du fait de leur durée d’action).

Dans le même temps, les moyens de l’administrer par voie sous­-cutanée connaissaient pareille progression, notamment par l’amélioration des seringues, aujourd’hui à usage unique et équipées d’aiguilles ultrafines, par le développement des stylos d’abord rechargeables, puis pré­ remplis et jetables après usage, enfin, par la mise au point de pompes miniaturisées permettant la perfusion insulinique toujours en sous-­cutané.

La recherche clinique a été aussi très active durant cette période, permettant de mieux cerner les objectifs du traitement insulinique (non seulement la qualité de vie du patient, mais aussi la prévention des complications) et les moyens pour y parvenir au mieux (notamment en reproduisant au mieux les caractéristiques de la sécrétion physiologique d’insuline par un pancréas sain).

L’insulinothérapie, doit être adaptée en fonction des besoins et attentes des patients et des objectifs de l’équipe soignante. Cette personnalisation passe par le choix du protocole insulinique et des modalités d’adaptation de celui-ci.

Le protocole insulinique

Le choix du protocole insulinique est la 1re étape de la mise en œuvre du traitement et sera déjà une décision partagée entre patient et soignant, prenant notamment en cause le projet de vie du patient et le projet de santé du soignant pour son patient.


Le choix du type d’insuline

La 1re étape de la détermination du protocole insulinique est le choix du type d’insuline qui sera utilisée. Aujourd’hui le choix doit se porter entre les insulines humaines et les analogues d’insuline, qui tend à privilégier les analogues d’insuline. Le recours aux insulines humaines est en effet limité à certaines situations (diabète gestationnel par exemple) ou à des souhaits patients ou médecins.

Les insulines humaines ont, en effet, une cinétique d’action peu adaptée aux souhaits des utilisateurs, trop tardive et anormalement pro­longée pour les insulines rapides comme l’Actrapid®, l’Umuline® et l’Insuman®. De fait, ces insulines n’empêchent pas la glycémie de monter après les repas et a contrario exposent au risque d’hypo­glycémies à distance des repas.

De même, les insulines humaines dont l’action est retardée par l’adjonction de protamine, protéine de poisson, dites insulines NPH, ont une action trop courte (largement inférieure à 24 heures) nécessitant deux injections par 24 heures, un effet peu reproductible (même chez le même sujet) et conduisent le plus souvent à un pic d’action maximale autour de la 6e heure, pouvant exposer au risque d’hypoglycémie, notamment en pleine nuit. C’est le cas pour l’Insulatard® et l’Umuline NPH®.

Ces défauts sont nettement atténués avec les analogues de l’insuline, en particulier quant à l’effet hypoglycémiant :

  • plus rapide et plus bref pour les analogues d’action rapide, dont l’Apidra®, l’Humalog® et la Novorapid®. Certains ont même une action ultrarapide comme la Fiasp® et la Lyumjev® ;
  • se rapprochant de l’effet sur 24 heures pour les analogues d’action lente, comme la Lantus® et la Levemir®, avec un effet plus constant tout au long de leur action. Il existe même des analogues dont la durée d’action dépasse les 24 heures (Toujeo®), voire les 48 heures (Tresiba®). Cette dernière, ayant un effet totalement plat tout au long de son action, doit néanmoins être utilisée en injection quotidienne.

Bien que peu utilisés en France, les prémélanges d’analogues rapides et de formes lentes à base de Novorapid® (représentant 50 ou 70 % de la formulation globale des NovoMix®) ou d’Humalog® (pour 25, 50 ou 75 % des HumaMix®) sont plutôt utilisés dans le diabète de type 2.

Enfin, depuis peu sont arrivées sur le marché des insulines biosimilaires, équivalent des génériques pour les médicaments. Il s’agit de l’Abasaglar®, biosimilaire de la Lantus® et l’Asparte®, biosimilaire de la NovoRapide®.

Les insulines humaines et analogues sont de plus en plus utilisées sous forme de stylos préremplis, plutôt qu’en stylos rechargeables, encore moins en seringue. Les formes d’action rapide existent aussi sous forme de fla­cons, essentiellement pour l’utilisation dans les pompes.

La plupart a une concentration de 100 uni­ tés internationales (100 UI) par mL. Toute­ fois, deux analogues existent à une concentration de 200 UI/mL (Humalog® et Tresiba®) et une à 300 UI/mL (Toujeo®).

Tous les stylos préremplis sont calibrés en fonction de la concentration de l’insuline.

Le choix du schéma insulinique

 

C’est la 2e étape, sans doute plus importante que le choix de l’insuline, probablement moins que la définition du mode d’autocontrôle.

Chez un sujet non­-diabétique, le pancréas délivre l’insuline de manière continue, mais à faible concentration entre les repas (sécrétion basale), sécrétion qui est multipliée par un facteur d’environ 10 dans les 90 minutes qui suivent une prise alimentaire (sécrétion stimulée ou bolus prandial). La sécrétion de base est là avant tout pour contrôler la production hépatique de glucose et la glycémie dans les périodes interprandiales, notamment la nuit, alors que les bolus permettent le stockage rapide des glucides ingérés.

Schématiquement, plus on veut être efficace, plus il faut que le schéma se rapproche des algorithmes de la délivrance physiologique.

Ce schéma basal­-bolus peut donc consister en :

  • une injection d’analogue rapide juste avant le repas, ou au début de celui­ci, voire juste après dans certains cas (soit 3 injections par jour) et 1 injection d’analogue d’action lente, au total un minimum de 4 injections par jour ;
  • la perfusion par une pompe d’un analogue rapide à des doses faibles et préprogrammées entre les repas et des accélérations de débit déclenchées par le patient juste au moment du repas.


Le choix entre pompe et multi­-injections est d’abord celui du patient dans la mesure où les deux schémas sont le plus souvent très performants. La préférence sera par ailleurs donnée à la pompe pour les diabètes d’équilibre difficile, notamment en cas d’hypoglycémies non ressenties en particulier nocturnes, ou chaque fois qu’un équilibre optimal est souhaité.

Il est important de noter qu’un traitement par multi­-injections nécessite que le patient se fasse au moins 4 injections par jour, alors que le cathéter qui amène l’insuline de la pompe vers le tissu sous­-cutané est à remplacer tous les 3 jours seulement. Cet incontestable élément de qualité de vie peut être contrebalancé, chez certains patients, par le fait que le port continu de la pompe peut apparaître comme un rappel constant de la présence de la maladie diabétique ou rendre celle-­ci plus visible au regard d’autrui.


Les schémas autres que ce schéma basal­bolus doivent être réservés à de très rares situations, dans lesquelles un strict contrôle glycémique n’est pas recommandé, par exemple les sujets âgés ou ceux ayant des difficultés à gérer le traitement.


L’adaptation du traitement insulinique

Nombre d’événements peuvent influencer la vie quotidienne de manière aiguë et même chronique. Tous sont susceptibles de modifier l’équilibre du diabète, ce qui ne peut apparaître qu’en suivant l’évolution du profil glycémique. Il est donc important que le patient soit éclairé le mieux possible sur ce niveau de contrôle glucosé.

Deux systèmes existent à ce jour pour permettre la mesure du taux de glucose :

  • les lecteurs de glycémie capillaire qui permettent, à partir d’une goutte de sang prélevée de manière quasi-­indolore au bout du doigt et déposée sur une bandelette réactive, de connaître, en analysant cette bandelette, le taux de glucose dans le sang capillaire. Les lecteurs sont de petite taille, donnent des réponses très rapides, permettent l’analyse rétrospective des valeurs, éventuellement l’inclusion dans un protocole de télésurveillance. Par contre, ils n’indiquent que la valeur du moment, d’où la nécessité souvent de réaliser à la fois des mesures préprandiales (avant les 3 principaux repas et au coucher) et post­prandiales (entre 90 et 180 minutes après ceux-­ci) ;
  • les capteurs de glucose, remboursables pour certains patients, permettent, en mettant en place de manière aussi quasi­ indolore un petit capteur dans la graisse sous­-cutanée, de connaître le niveau de glucose dans le tissu interstitiel qui baigne les cellules graisseuses. Surtout, ils permettent plus de 150 mesures quotidiennes de ce taux et donc d’avoir un véritable contrôle continu du glucose et ce, avec le même capteur pour des durées d’une à plusieurs semaines. L’information est donc infiniment plus riche et les contraintes beaucoup plus réduites pour le patient.


L’adaptation des doses d’insuline en fonction des taux de glucose

C’est l’étape ultime qui consiste à déterminer la quantité d’insuline à injecter ou perfuser en fonction de l’évolution des taux de glucose mesurés. Pour cela, le protocole d’adaptation des doses doit être personnalisé à chaque patient, en fonction de para­mètres nombreux : l’âge et le poids du sujet, l’ancienneté de son diabète, son environnement familial et professionnel, son mode de vie (qui peut par exemple être très différent le week­end par rapport à la semaine, durant des vacances à la neige ou à la plage…), enfin, ses souhaits et refus.

L’équipe soignante définit, avec le patient, un protocole d’adaptation des doses.

Il existe quelques règles de base pour l’écriture d’un tel protocole, au­-delà de sa personnalisation, notamment :

  • il doit viser toujours à éviter l’installation d’un déséquilibre plu­ tôt qu’à le corriger : anticiper plutôt que compenser ;
  • il doit néanmoins permettre les 2 types d’adaptation : modification de jour en jour, mais aussi adjonction d’une dose supplémentaire en cas d’hyperglycémie ou réduction d’un débit ou d’une dose en cas d’hypoglycémie ;
  • il doit être compréhensible par le patient et son entourage, qui peuvent avoir des problèmes d’alphabétisation ou des difficultés linguistiques ;
  • il doit être régulièrement réévalué en fonction de l’évolution ; il doit comporter un volet important sur la prévention et la cor­ rection des hypoglycémies, la complication la plus fréquente de toute insulinothérapie.

La remise de ce protocole d’adaptation doit permettre à tout diabétique de gérer de manière autonome son traitement.


Les perspectives d’avenir

L’insulinothérapie continue de progresser, notamment vers la conception et la production de systèmes en boucle fermée, dans lesquels est établie une interaction plus ou moins avancée entre information glucose et administration d’insuline. On les appelle communément pancréas artificiels (PA).


Un PA se compose de trois éléments, interagissant, à savoir :

  • une pompe qui perfuse l’insuline ;
  • un capteur qui mesure le glucose en continu ;
  • une interface permettant l’échange d’informations entre les deux éléments mécaniques et en premier de déterminer en permanence la meilleure dose d’insuline à administrer.

C’est bien sûr le 3e composant qui est le plus délicat à concevoir.

 

La gestion automatique des débits de base est acquise, mais les systèmes demandent encore, et probablement demanderont encore longtemps, des prises de décision humaine au moment des repas ou d’activités physiques surtout si celles-­ci ne sont pas programmées.

Ce mode de fonctionnement amène à parler de pancréas artificiel hybride ou d’insulinothérapie automatisée, déjà un immense progrès pour ceux qui vivent avec le diabète de type 1.






Référence : 

Le diabète : Mieux le comprendre pour mieux vivre. Michel Pinget, Michel Gerson. John Libbey Eurotext, 6 janv. 2022.



Share by: